« Ceci n’est pas un viol. Il s’agit seulement d’une salope qu’il aura suffi de convaincre. »
Virginie Despentes
Cette phrase, c’est exactement ce que je me disais le lendemain. C’est ce que j’ai écrit dans mon journal.
Et c’est exactement ce que j’ai compris lorsque la procureure m’a expliqué qu’elle ne poursuivrait pas. Ce journal me nuisait. Ce que j’y ai écrit, c’était le bilan de mes agissements. Je serais détruite, assurément. La défense n’aurait même pas à démontrer quoi que ce soit. Je le dis moi-même sur ces pages sombres… il y a eu d’autres gars, plusieurs. Alors, il s’en sortirait.
Je me suis senti tomber dans le gouffre.
Moi qui croyais qu’elle m’en sortirait, elle m’y a replongé. Elle a confirmé ce qu’il m’avait dit. Elle a brisé ce que j’essayais de réparer.
Il m’a violée. Mais ce n’est pas si grave finalement. Parce que le lendemain, je l’ai cru, j’ai tout mis sur ma faute, je me suis détestée d’avoir été utilisée de la sorte. Voilà ma punition. Je ne pouvais me plaindre. Je l’avais cherché.
On ne viole pas une salope. On l’utilise, on se la fait. On l’emprunte pendant quelques temps. On la manipule un peu pour qu’elle se laisse faire. On n’a aucun remord. On peut même s’en vanter, mais pas tant. Parce que c’est une salope. Tout le monde peut se la faire. Il n’y a pas de quoi s’en vanter…
On n’aide pas une salope. Si elle pleure, c’est de sa faute. C’est qu’elle l’a cherché. Ce n’est pas la première fois qu’elle ouvre les jambes. Qu’elle ne vienne pas se plaindre si ça a mal tourné. Elle devait s’y attendre que ça puisse lui arriver. On ne va quand même pas la défendre. On ne va pas accuser le gars en question. Il n’a rien fait de grave. Il a juste profité d’une salope…
Et si on est une salope, il faut assumer. Si on ne veut plus en être une, il faut partir ailleurs et recommencer. On n’a pas à tenir les autres responsables, on a couru après son propre malheur. Sentir les regards, les jugements, c’est douloureux. Mais c’est de notre faute. Il ne faut pas se plaindre. On doit fermer les yeux ou les ouvrir. À nous de choisir.
J’ai fermé les yeux sur ce qu’il m’a dit. Sur ce qu’il a inscrit dans mon âme.
J’ai fermé les yeux sur la perception que j’avais de moi. Je les ai tous mis dans le même panier, car c’est ce qu’il a voulu me faire croire. J’étais ça. Pour tout le monde. Je ne pourrais me défendre. On ne m’aiderait pas.
J’ai fermé les yeux et j’ai tellement eu mal. Tellement pleuré. Tellement culpabilisé. Je ne l’ai jamais tenu pour responsable. Je l’ai oublié rapidement. Il n’était qu’un détail parmi les autres. Il était un de plus. Un de trop. Celui qui m’avait confirmé ce que j’étais, qui m’avait seulement ouvert les yeux.
La voilà ma blessure…
J’ai fermé les yeux pendant trop longtemps.
Alors que je croyais les avoir ouverts.
Je viens de les ouvrir…
Ça me fait mal. Mais ça me fait du bien.
C’est paradoxal.
Enfin, voir la vérité. Constater ce qu’il a créé.
Me libérer.
Mais aussi, réaliser le mal qu’il a causé en moi pendant si longtemps.
La culpabilité qui se transforme en colère.
Le sentiment d’injustice qui prend tout son sens.
J’ai cru qu’en 2018, on m’aiderait.
Qu’on comprendrait ma douleur du lendemain.
Que même s’il y avait eu d’autres gars, cela ne lui donnait pas le droit de me faire ça.
Il semble bien qu’il y ait encore du chemin à faire.
Il semble que j’avais bel et bien raison de me taire.
C’est de ma faute si justice ne sera jamais rendue.
Je n’étais pas pure, je n’étais pas chaste,
Je dois assumer ce après quoi j’ai couru.
Tourner la page de ce journal, prendre le blâme et admettre mes torts.
Lui, il a eu l’intelligence de choisir celle qui se culpabiliserait.
Il a réussi, même en 2018, à me faire avaler ce qu’il a fait.
Coucou Nat 🙂
Être une femme et avoir des envies sexuelles, ne fait pas d’une femme, une salope. Juste une femme ‘normale’. Un humain avec des envies comme n’importe quel mammifère en fin de compte.
Heureusement que tu as vécu ensuite. C’est « tout » ce que tu as fait: vivre/survivre. Tu as essayé de vivre malgré le traumatisme. Et comment tu as fait? En faisant un pas devant l’autre et en rencontrant des gens, des hommes et oui tu as eu des aventures. Mais ça ne fait pas de toi, une salope. Ca ne fait pas de toi la fautive de SES actes.
Je ne suis pas d’accord. Tu n’es pas la fautive, TU es la victime.
Je vais essayer de te faire changer d’angle de vision en prenant mon vécu. Me dirais-tu, » c’est de ta faute si tu as vécu un attentat parce que tu as été un concert »? Non, je ne pense pas.
Comme je ne te dirai jamais « Tu l’as bien mérité parce que tu étais dans la même pièce que lui ».
L’injustice est rude, très rude. Mais ça ne fait pas de toi la fautive. Ca montre juste un dysfonctionnement qui ne te concerne pas en fin de compte.
Ne te rejette pas cette faute. Ne l’oublie pas, c’est LUI le connard. C’est LUI la salope. C’est LUI qui craint.
Toi tu es un être exceptionnel qui se bat comme un lionne. Il ne t’arrivera jamais à la cheville.
Je sais, tu as raison. La faute lui appartient. Mais il semble bien que la société pense autrement. La justice voit les choses différemment. J’ai vraiment cru qu’on avait évolué. J’ai vraiment eu espoir en la sagesse du système judiciaire. Le traumatisme est énorme. Se faire confirmer ce qu’il a voulu me faire croire, c’est une douleur inexplicable. Cela fait des mois que je ravale, que je me sens coupable. Si justice ne peut être rendue, c’est que j’ai fait des erreurs. Une de celles-ci, c’est d’avoir écrit ma douleur. La justice est si injuste. Lui, il n’a rien à prouver. Il me viole, il s’en va, et c’est à moi à me débrouiller avec ça. Si je veux défendre mes droits, je dois être au-dessus de tout. Pas trop traumatisée, juste assez pour qu’on croit en ma sincérité, mais réagir tout de même de façon logique, ne pas être trop envahie par les émotions, mais pleurer tout de même, sinon…
Je ne peux croire qu’on doive encore justifier sa sexualité. Un problème de femmes il faut croire. Qu’on ne vienne pas me rabattre les oreilles avec le féminisme dépassé… J’enrage.
Merci tellement pour ta présence rassurante. Tu es magnifique…
J’enrage pour toi. Je suis désolée et je n’ose imaginer le coup de poignard que cela est.
Je peux comprendre un minimum que lorsque l’on me dit que je l’ai cherché en étant dans un concert de « metal » (s’en est pas et puis même?) et que la chanson sur laquelle nous avons été canardé c’était « kiss the devil » donc on l’a vraiment cherché.
On ravale son mal mais l’injustice est là.
Alors lorsque c’est la justice qui dit « ça ».. C’est immonde..
Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir t’aider plus.
Mais en tout cas, ce n’est pas de ta faute. Et Oui TU as été violé. Tu t’es faite agressée sexuellement, psychologiquement, psychiquement. Il t’a fait du mal.
Les méchants n’ont jamais rien à démontrer. Ce sont les gentils qui doivent toujours se justifier.
3 ans après les attentats, je dois encore me justifier. Je comprends la fatigue. Vraiment.
C’est frustrant.. tellement frustrant.
Pourquoi ce n’est pas plus simple pour nous..? C’est nous les victimes ! Pas eux.. Et pourtant la justice est faite pour les « méchants », je trouve..
Courage! Tu vas surmonter cette épreuve! Comme toutes les autres avant. <3