Fragile guerrière

Oui, j’ai peur.
Présentement, c’est ce qu’il se passe en moi,
Je ne suis pas une mauvaise personne,
Je n’ai pas l’habitude de faire ça,
Je préfère toujours être blessée que blesser,
Je préfère ravaler que cracher,
Je préfère assumer que dénoncer…

On entend partout : « le passé est passé! Il faut tourner la page, lâcher-prise! »
Comment faire pour avancer dans ce chemin lorsque ces principes, on y croit?
Quand depuis des années, on a l’habitude d’utiliser ces mécanismes-là?
Quelle lutte difficile que celle contre soi-même,
Quelle bataille épuisante que celle contre ses propres démons…

Peut-être est-ce de cela dont je dois me libérer?
Peut-être qu’il est là mon lâcher-prise?
Lâcher-prise sur ce réflexe de me taire et m‘effacer,
Lâcher-prise sur cette impression que je ne mérite pas d’être aidée,
Lâcher-prise sur cette habitude que j’aie de minimiser,
Lâcher-prise sur cette peur de m’affirmer,
de demander justice pour moi-même,
Lâcher-prise sur mon sentiment de responsabilité, de culpabilité…

Peu importe ce qu’on me fait subir,
Je vois toujours l’humain qui est devant moi.
Mon âme préfère pleurer sans bruit,
Pardonner est tellement plus facile, croyez-moi…

Ce serait tellement plus simple de faire volte-face,
Ne pas faire de vague, me replonger dans le silence.
Pour moi, ce serait du connu! La routine!
Me défendre… je peux le faire, mais je me sens coupable,
Me lever et reprendre mon droit,
Me tenir debout, être forte,
Voilà l’urgence, l’évidence, la fatalité,
Enfin, voir l’humain en moi,
Enfin, parler pour les femmes réellement,

Écrire, je sais faire…
Parler, j’y suis habituée…
Mais agir, concrètement,
Avoir ce pouvoir entre mes mains,
Alors que mon pouvoir on me l’a un jour arraché…

Et quand depuis tant d’années, on croit que notre humanité n’existe pas,
Quand on nous a enlevé cette certitude-là,
Il est difficile d’être convaincue du bien-fondé de cette démarche,
Qui suis-je pour faire ça?
Je ne suis pas grand-chose,
Je ne suis pas plus importante qu’un autre,
Je ne suis qu’une fille qui a été utilisée,
Qui doit prouver, démontrer, avec toute la conviction possible,
Qu’elle ne méritait pas cela,
Qu’elle vaut plus que cela.

Il est si difficile d’avoir confiance en soi,
Quand la blessure, elle est justement là…

Un jour, se sentir guerrière,
Le lendemain, vouloir rentrer sous terre…

Je m’accroche à la vérité,
Je m’accroche à l’évidence,
Je m’accroche grâce à ces gens qui m’aiment,
Je m’accroche à la justice,
À toutes celles qui ne parleront jamais,
Je m’accroche un jour à la fois,
En ne sachant pas trop vers quoi cela me mènera.

Je ne suis pas la première,
Je ne serai pas la dernière,
Je ne serai qu’une parmi tant d’autres,
J’aurai été au bout,
J’aurai fait ce qui est juste,
Même si je dois me sacrifier,
Même si cela m’arrache le cœur,
Même si la blessure s’ouvrira encore et encore,
Même si la lutte est cruelle,
Même si je dois être plus forte que moi-même,
Même si je doute sans cesse.

Me convaincre que je suis digne,
Faire confiance dorénavant,
Malgré cette peur que j’aie,
Qu’on me laisse tomber,
Qu’on ne me croie pas,
Qu’on juge que ce n’est pas si important que cela…

Malgré ces obstacles évidents,
cette jeune fille brisée,
Ne jamais la laisser tomber.
Foncer droit devant,
Avec comme seule arme la vérité.

Cette arme qu’il ne pourra jamais utiliser…

Cet événement isolé

Vous pensez que cela ne fait rien?
Vous pensez que ce n’est qu’un événement isolé?

La peur… La peur nous suit, sans cesse. Physiquement, socialement. Les sourires deviennent suspects. Les belles paroles ne font plus d’effet. Au contraire, on reste sur ses gardes, toujours, sans aucune exception. Ne plus croire… en être incapable.

Ne plus faire confiance aux autres, mais surtout à soi-même. Parce qu’un jour, notre ressenti nous a trahi. Nos émotions nous font peur. Nos frissons deviennent des erreurs. Parce qu’un jour, on s’est laissé briser. On a été brûlée. Ne plus se faire confiance, c’est terminé.

Si on a vécu ça, c’est qu’on est en partie responsable. Assumer ses erreurs. Assumer…

J’étais anéantie. Il n’y a pas d’autres mots. Anéantie mais en vie. Étrange sensation de vide et de présence. S’accrocher à une parcelle d’existence. Un morceau d’espoir. Une étincelle.

J’ai pris la décision de n’écrire que mes moments de bonheur. Il fallait s’en sortir, il fallait s’accrocher! On n’a qu’une vie, une seule! Ce n’est pas vrai qu’un événement viendra tout détruire. Ce n’est pas vrai qu’un être humain aussi horrible viendra marquer ma vie. Ça non! Surtout pas lui! Pas ça!

Horrible personnage, être immonde! Comment a-t-il pu me faire ça? Comment a-t-il pu décider, ce soir-là, que je devenais ça? Je suis tellement plus forte qu’il ne le croit, je ne me laisserai pas faire. Je ne le laisserai pas décider. Je ne le laisserai pas me briser.

Vous pensez que cela ne fait rien?
Vous pensez que ce n’est qu’un événement isolé?

Déchirée en deux… déchirée. Pour pouvoir survivre. Cette partie de soi qui a été meurtrie, on l’enfouie. C’est inexplicable. C’est inimaginable. Et cela prend plusieurs années à le réaliser, à l’accepter…

Je ne l’accepte pas encore vraiment… Prendre conscience que pendant tout ce temps, j’ai marché à côté de moi-même…

Pourquoi on ne parle pas lorsque cela nous arrive?
Vous vous demandez bien pourquoi, n’est-ce pas?
Je vais vous dire pourquoi…

Rien de pire que de le dire et de ne pas être cru.
Rien de comparable.
Rien de plus épouvantable.
Passer pour une menteuse qui s’amuse à inventer un viol?
Il n’y a pas plus méprisable.
N’est-ce pas?
Tous les jours, on l’entend cette phrase : « peut-être qu’elle ment pour avoir de l’attention? »

Quand on l’a vécu, on ne veut surtout pas passer pour ce genre de personne.
Alors, dès qu’on ne nous croit pas, on s’enferme. On s’engouffre. On préfère souffrir seule, silencieusement, que publiquement. Le choix est facile, automatique, évident.

Ne rien entendre ou entendre des jugements?
Continuer à avancer ou se battre pour être cru?
Ces gens, je les aime… je ne veux pas les décevoir, je ne veux pas qu’ils me voient comme la fille qui invente ce genre d’histoire. Je ne veux pas qu’on me dise que j’ai été imprudente. Je ne veux pas entendre les reproches, les « tu aurais dû ».

Et puis, de toute façon, ce n’est qu’un événement isolé!
Une mauvaise expérience, un souvenir à oublier!
On tourne la page, on va de l’avant! On se le dit souvent : « ne regarde pas derrière, l’avenir est devant! » Ça ne devrait pas être compliqué? Ça devrait se faire facilement! On est forte, on est capable. Lui, il n’est rien. Je ne m’arrêterai pas en chemin à cause de lui. Ça non.

Malgré cela… Malgré les belles paroles, les promesses que l’on se fait. Malgré nos bonnes intentions et notre force surhumaine… les images sont envahissantes et humiliantes. Notre âme est ternie, broyée, marquée au crayon feutre. Ça nous suit, toujours, sans cesse, sans relâche. Puisque les sons et les images sont trop épouvantables, on les cache au fond, très loin. Mais la cassure est là. Toujours. Elle transparaît dans chacun de nos mouvements, de nos peurs, de nos choix. Elle définit notre vie, notre chemin, notre perception des choses, notre identité. Et tout cela, même si le souvenir est caché.

Je sais que c’est difficile à comprendre, à visualiser. Je comprends tellement, si vous saviez…
Et c’est pour cette raison que je tente sans cesse de l’expliquer.
J’essaie, enfin, de mettre des mots sur l’inconcevable.

Y a-t-il de l’espoir, me demanderez-vous?

Mais il y en a toujours eu! Depuis le début!

Parce que tout ce qu’il pouvait faire de pire, c’était de me tuer!
Il ne m’a pas tuée…
Non, il ne m’a pas tuée.
J’ai survécu.
À ce moment précis où il m’a lâchée,
Mon âme est revenue,
Et l’espoir est apparu…

Pour elles

Je ne peux pas.
Je ne peux pas abandonner.
Je ne peux pas reculer.
J’ai peur. Je sais.
Mais je ne me laisserai pas écraser.

Ce monde injuste. Ce monde d’horreur.
Qui m’a fait douter de moi, de qui je suis.
De qui je devrais être.

Ce monde.
Dans lequel je ne suis pas seule.
Tellement pas seule…

Parler, c’était se mettre en danger.
J’en étais effrayée.
Mais au contraire, ça m’a donnée la force.
La force de continuer.
La conviction de la légitimité,
De mon intention.

Je sais qui je suis,
Depuis toujours.
Je ne l’ai pas laissé me détruire,
Parce que je savais que je valais quelque chose.
Malgré ce que l’on pouvait dire de moi,
Malgré ce que je croyais qu’on disait de moi.
Je savais qui j’étais.

Non, je ne peux pas baisser les bras.
Je suis plus forte que ça.
Et il est important pour moi,
De l’être pour celles qui ne peuvent pas.
Pour celles qui se taisent,
Pour celles qui ont honte,
Qui se cachent au fond de leur chambre,
La peur et la culpabilité dans l’âme.

Je veux me lever pour elles,
Je veux parler à leur place,
Parce que l’injustice me ronge,
Parce que l’injustice fait rage,
Parce que depuis ce soir-là,
La colère a pris place.
Une colère que je refuse de refouler,
Au nom de la fille parfaite qui sait pardonner.

Jeune fille à la sexualité naissante,
Qui ressent le jugement des hommes possessifs,
Qui désire tant être aimée et considérée.

Jeune fille qui a honte parfois,
Et qui y a droit.

Jeune fille qui a été utilisée,
Et qui a eu l’âme pulvérisée.

Jeune fille qui a tentée de se protéger,
Avec la force qu’elle a su accumuler,

Qui a oublié, parce qu’elle a été violée,
À quel point elle a été aimée,

À quel point elle a été aimée….

La décision

Pourquoi je le ferais? La question…

Parce que c’est grave.
Parce que ça brise une vie.
Parce que c’est un crime.
Parce que je mérite le respect, de mon être, de ma dignité, de mon intégrité.
Parce que personne n’a à vivre ça, y compris moi.
Parce que trop de gens encore ne comprennent pas la portée d’un tel geste.
Parce que les conséquences sont si nombreuses.
Parce que ça affecte plusieurs sphères de la vie.
Parce que c’est un traumatisme épouvantable.
Parce que ça laisse des séquelles psychologiques.
Parce que ça a des impacts sur la santé physique.
Parce que c’était planifié, prémédité.
Parce que ma colère est légitime et que je veux l’exprimer intelligemment.
Parce que je veux reprendre le pouvoir qu’il m’a enlevé.
Parce que je veux rétablir les faits.
Parce que j’ai le droit d’être entendue et considérée.
Parce que j’ai avec moi la chose la plus importante, la seule chose nécessaire, la vérité.

Mais surtout,
Parce qu’il n’avait pas le droit de me faire ça.
Et moi, j’ai le droit de faire ça.

Mais la vraie question est…
Pourquoi je ne le ferais pas?

Parce que de doute façon, ma vie est peut-être plus belle que la sienne? Parce que je suis peut-être plus heureuse que lui? Parce que la vie l’a peut-être rattrapé, il a peut-être des problèmes dont je ne soupçonne l’existence? Parce qu’il était peut-être souffrant, blessé? Peut-être avait-il eu un passé plus triste que le mien? Non. Il ne mérite pas mon empathie. Il m’a agressé, point. Je ne dois pas penser plus loin. Parce que des gens vont peut-être en souffrir? Pourtant, c’est son geste, pas le mien.  Je ne dois pas me sentir coupable. Cela suffit.

Parce qu’on va penser que je veux me venger? Parce qu’on va dire que je cherche à soutirer de l’argent? Parce qu’on ne me croira pas, on dira que je profite de la situation, on dira que je mens peut-être? On me jugera, on écoutera mon histoire et j’entendrai ces préjugés? On va me pointer du doigt, me ridiculiser, douter de moi? On dira que je le fais pour des raisons égoïstes? Non. Ce que les autres pensent ne m’appartient pas. Je ne dois plus diriger mes actions en fonction de ce que l’on pensera de moi. Je ne dois pas avoir honte. Cela suffit.

Parce que de le faire, c’est rester encore dans ce tourbillon? Parce que c’est de l’acharnement? Parce qu’il serait préférable de tourner la page, de passer à autre chose, de lâcher prise, de faire la paix avec mon passé? Non. Que je le fasse ou non, cela ne partira jamais, de toute façon. Tourner la page, je ne pourrai jamais vraiment. Je ne peux faire semblant et me faire croire que cela ne s’est jamais passé. Je peux avancer, évoluer, mieux me comprendre, redonner à l’autre ce qui lui appartient, mais je ne pourrai jamais effacer le traumatisme complètement. Que je le fasse ou non, la blessure restera. Je ne dois pas me mentir. Cela suffit.

Parce que j’ai peur de perdre de l’argent? De faire tout cela et de m’effondrer au bout du chemin? Parce qu’il pourrait en ressortir glorieux, comme lorsqu’il est sorti de ma chambre? Parce que c’est un gros risque à prendre? Non. Je ne veux plus faire des choix en fonction de ma peur. Je ne veux plus refouler au risque d’être blessée encore. Cela fait trop longtemps que j’agis de cette façon. La peur ne sera plus mon phare. Ma confiance doit être inébranlable. Plus que jamais. Je ne dois plus m’oublier. Je suis importante. Je suis forte. Je ne dois plus m’écraser pour me protéger. Cela suffit.

Parce que je peux le faire.

Parce que toutes les victimes devraient pouvoir le faire.

Et parce que tous les agresseurs devraient être tenus responsables de leurs gestes.
Sans aucune exception…

« On ne se libère pas d’une chose en l’évitant, mais en la traversant » Cesare Pavese

L’injustice du silence

Je suis la criminelle,
Quel monde cruel…

Je viens de recevoir une mise en demeure. Il y a quelques jours. De lui. De son avocat.
J’en parle, car je trouve cela complètement inconcevable.

Dans quel monde vivons-nous?
Je dois me taire. Sinon il peut me poursuivre. Sinon, il va me poursuivre.

On nous dit de parler, de dénoncer. Cette libération de la parole a un prix, j’en étais très consciente. Et lorsque j’osais m’affirmer, du bout des lèvres, j’avais toujours peur. Peur de passer pour la méchante, la criminelle. Peur que cela me nuise. Cette lourdeur que je ressentais à chaque fois. Cette lourdeur qu’il a déposée sur moi ce soir-là et dont je n’ai jamais pu me débarrasser. Le poids du silence. Toujours.

J’ai laissé tomber ces amis. Je les percevais complices de ce viol. Dans mon esprit, je n’étais rien. Il avait réussi son coup, il irait s’en vanter. Et puis, on ne ferait rien. Car je l’avais mérité.

J’ai tout quitté et je me suis refermé sur moi-même. J’ai vécu un traumatisme grave qui a laissé des séquelles dans ma vie. Et c’est lui… que l’on doit protéger. Laissez-moi hurler!

Lorsque mon choc post-traumatique a débuté, l’urgence en moi a été de parler. Cette urgence de réparer, de crier haut et fort ce qu’il m’a fait, ce que j’ai enfoui, ce qui m’a empoisonné pendant toutes ces années. La femme rationnelle et en contrôle s’est effondrée. Les émotions se sont mises à exploser. Mais ça… évidemment… j’aurais dû encore me la fermer! J’aurais dû le protéger! Ne rien dire pour ne pas lui nuire! Ce pauvre homme victime de ma colère. Pleurons en cœur…

Maintenant, j’ai cette mise en demeure qui me menace de poursuites si je tiens encore ces « propos mensongers ». On me dit que je serai tenue responsable de tout dommage qui pourrait en résulter! Je frissonne rien qu’à lire ces phrases qui me transpercent. Je suis une méchante sorcière… et cela me donne encore plus la conviction que nous ne devons pas nous taire.

Je faisais attention à ce que je disais, faisais… je me sentais coupable de parler, et on me disait que je n’avais pas à cacher la vérité.

Si j’ai hésité à parler de ce que j’ai vécu, maintenant, la question ne se pose plus. Cette mise en demeure est la preuve qu’il n’y a rien de changé. Elle est la preuve de l’aberration sociale dans laquelle nous sommes encore prisonniers. Elle est la preuve que nous devons, plus que jamais, parler.

Nous avons un réel problème de société. Nous avons un réel problème à régler. Durant cette année du mouvement #moiaussi, des gens se sont indignés des dénonciations en utilisant le concept de « chasse aux sorcières ». Ce qui me faisait carrément frissonner. La chasse aux sorcières, ce sont les victimes qui la vivent. Depuis des centaines d’années.

Je parlerai. Je ne me tairai jamais. Je ne mens pas. Je vais me lever pour toutes ces victimes qui sont réduites au silence. Pour toutes ces femmes et ces hommes qui n’osent dénoncer. Parce que la peur nous tient, la peur nous écrase, la peur nous brise.

Cette mise en demeure vient jouer sur ma peur…
Je dois être forte. Plus que jamais.
Je ne dois pas le laisser encore me dominer.
Je dois crier à l’injustice. Je ne peux faire autrement.

J’assume tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai dit.
La vérité sera toujours mon cheval de bataille.
Qu’on me poursuive, qu’on m’emprisonne, qu’on me mette au bûché,
Jamais je ne mentirai!

Pas si grave

Ce qui me dérange, c’est votre journal. Je n’ai aucun problème avec votre témoignage.

Ha! Vous comprenez! Je suis contente d’entendre ça…

Mon travail, c’est d’arrêter des agresseurs, mais c’est aussi de protéger mes plaignantes.

La défense va jouer avec ça, ils vont vous démolir, et ça va lever le doute raisonnable.

On dirait une fille qui fait le constat de ses agissements…

Je pourrais très bien vous préparer, vous accompagner, mais c’est vous qui allez être en avant, qui allez vous faire démolir, et vous n’avez pas besoin de ça.

La défense n’ira pas avec des gants blancs. Ce n’est pas un jeu.

Ça vous a libéré de porter plainte? Ça vous a fait du bien? Bon! C’est ça l’important!

Ce n’est pas qu’on ne vous croit pas!

Vous avez mes coordonnées si vous avez d’autres questions!

 

Je suis désolée, je n’ai pas eu le temps de vous répondre, parce que j’avais des rencontres avec des victimes… Vous pouvez appeler la CAVAC en attendant.

 

Qu’est-ce que vous voulez?

Je vous avais tout expliqué l’autre jour. Qu’est-ce que vous n’avez pas compris?

Ça ne marche pas! Vous ne pouvez pas! J’ai 25 ans d’expérience, je sais comment ça va finir. Il n’aura même pas besoin de témoigner.

Combien de fois dois-je vous dire que je fais ça pour vous protéger?

Ce n’est pas que je ne vous crois pas! C’est que ça ne marche pas! Vous pouvez demander un autre avis, mais moi je vous le dis, ça ne marche pas…

Je n’en reviens pas! Je n’ai jamais eu à me justifier autant…

Ce n’est pas ça qui va vous aider à guérir!

Non, je ne rencontre jamais les plaignantes dont j’ai refusé le dossier!

Je ne sais pas ce que la dame de la CAVAC vous a dit, mais elle n’a pas vu le dossier!

On voit qu’il n’y a pas qu’avec lui que vous avez des choses à guérir…

Non, ça ne lui donne pas le droit! Et c’est pour ça que vous avez porté plainte.

Oui, le mouvement #moiaussi va faire bouger les choses. Ça va faire en sorte que les filles vont s’affirmer, vont savoir se faire respecter, n’accepteront plus certaines choses.

Maintenant, vous allez guérir et devenir une ressource…

Bonne chance.

Ceci n’est pas un viol…

« Ceci n’est pas un viol. Il s’agit seulement d’une salope qu’il aura suffi de convaincre. »
Virginie Despentes

Cette phrase, c’est exactement ce que je me disais le lendemain. C’est ce que j’ai écrit dans mon journal.

Et c’est exactement ce que j’ai compris lorsque la procureure m’a expliqué qu’elle ne poursuivrait pas. Ce journal me nuisait. Ce que j’y ai écrit, c’était le bilan de mes agissements. Je serais détruite, assurément. La défense n’aurait même pas à démontrer quoi que ce soit. Je le dis moi-même sur ces pages sombres… il y a eu d’autres gars, plusieurs. Alors, il s’en sortirait.

Je me suis senti tomber dans le gouffre.

Moi qui croyais qu’elle m’en sortirait, elle m’y a replongé. Elle a confirmé ce qu’il m’avait dit. Elle a brisé ce que j’essayais de réparer.

Il m’a violée. Mais ce n’est pas si grave finalement. Parce que le lendemain, je l’ai cru, j’ai tout mis sur ma faute, je me suis détestée d’avoir été utilisée de la sorte. Voilà ma punition. Je ne pouvais me plaindre. Je l’avais cherché.

On ne viole pas une salope. On l’utilise, on se la fait. On l’emprunte pendant quelques temps. On la manipule un peu pour qu’elle se laisse faire. On n’a aucun remord. On peut même s’en vanter, mais pas tant. Parce que c’est une salope. Tout le monde peut se la faire. Il n’y a pas de quoi s’en vanter…

On n’aide pas une salope. Si elle pleure, c’est de sa faute. C’est qu’elle l’a cherché. Ce n’est pas la première fois qu’elle ouvre les jambes. Qu’elle ne vienne pas se plaindre si ça a mal tourné. Elle devait s’y attendre que ça puisse lui arriver. On ne va quand même pas la défendre. On ne va pas accuser le gars en question. Il n’a rien fait de grave. Il a juste profité d’une salope…

Et si on est une salope, il faut assumer. Si on ne veut plus en être une, il faut partir ailleurs et recommencer. On n’a pas à tenir les autres responsables, on a couru après son propre malheur. Sentir les regards, les jugements, c’est douloureux. Mais c’est de notre faute. Il ne faut pas se plaindre. On doit fermer les yeux ou les ouvrir. À nous de choisir.

J’ai fermé les yeux sur ce qu’il m’a dit. Sur ce qu’il a inscrit dans mon âme.

J’ai fermé les yeux sur la perception que j’avais de moi. Je les ai tous mis dans le même panier, car c’est ce qu’il a voulu me faire croire. J’étais ça. Pour tout le monde. Je ne pourrais me défendre. On ne m’aiderait pas.

J’ai fermé les yeux et j’ai tellement eu mal. Tellement pleuré. Tellement culpabilisé. Je ne l’ai jamais tenu pour responsable. Je l’ai oublié rapidement. Il n’était qu’un détail parmi les autres. Il était un de plus. Un de trop. Celui qui m’avait confirmé ce que j’étais, qui m’avait seulement ouvert les yeux.

La voilà ma blessure…
J’ai fermé les yeux pendant trop longtemps.
Alors que je croyais les avoir ouverts.

Je viens de les ouvrir…
Ça me fait mal. Mais ça me fait du bien.
C’est paradoxal.

Enfin, voir la vérité. Constater ce qu’il a créé.
Me libérer.

Mais aussi, réaliser le mal qu’il a causé en moi pendant si longtemps.
La culpabilité qui se transforme en colère.
Le sentiment d’injustice qui prend tout son sens.

J’ai cru qu’en 2018, on m’aiderait.
Qu’on comprendrait ma douleur du lendemain.
Que même s’il y avait eu d’autres gars, cela ne lui donnait pas le droit de me faire ça.

Il semble bien qu’il y ait encore du chemin à faire.
Il semble que j’avais bel et bien raison de me taire.
C’est de ma faute si justice ne sera jamais rendue.
Je n’étais pas pure, je n’étais pas chaste,
Je dois assumer ce après quoi j’ai couru.

Tourner la page de ce journal, prendre le blâme et admettre mes torts.

Lui, il a eu l’intelligence de choisir celle qui se culpabiliserait.
Il a réussi, même en 2018, à me faire avaler ce qu’il a fait.

Qui sait?

Était-ce une épreuve? Était-ce une leçon? Ou était-ce un pont… entre moi et moi…
J’étais jeune, naïve, étourdie, mal assise, sans cesse à me dire « je devrais ».
Je savais ce que je voulais.
Je ne savais pas comment faire.

Était-ce une épreuve? Une leçon… comme je l’ai cru, à l’époque? Ou était-ce une opportunité? Pour me réveiller, me relever, cesser de me dire « je devrais » et enfin, faire.

Je savais ce que je valais. Je savais qui j’étais. Lui, il ne le savait pas. Lui, il n’était rien.

Pourquoi a-t-il voulu me reparler?
J’ai refusé. Les frissons me parcourant le corps, j’ai tourné le dos. Jamais je ne lui reparlerais. La honte m’envahissait en croisant son regard. La colère m’inondait sans que je ne puisse rien faire, car il avait gagné. C’est la dernière fois que je l’ai vu.

Parfois j’aimerais revenir à ce moment et… là, devant ses amis, crier la vérité, le confronter à ses gestes, me tenir debout, solide, peu importe ce qu’il dirait, peu importe son sourire et ses mensonges, me tenir droite.

Que voulait-il me dire? Aujourd’hui, je me pose la question…
Et s’il était devant moi, maintenant, que me dirait-il?

Moi, j’en aurais des questions pour lui…
– Pourquoi m’as-tu fait ça?
– Pourquoi moi?
– Regrette-tu? Dis-moi?

Était-ce une épreuve? Une leçon? Un accident de parcours?
Était-ce un nouveau chemin, un signe de Dieu, une porte qui s’ouvre?
Un signe pour me dire que je vaux plus que ça… Que je mérite le meilleur de la vie…

En larmes dans mon lit, à me sentir souillée comme il est impossible d’imaginer, à le détester plus que tout au monde, à vouloir mourir de honte, j’ai repris vie. J’ai ouvert les yeux. J’ai décidé de me relever. Et cesser de dire « je devrais ».

Jamais je ne saurai si cela était nécessaire. Jamais je ne saurai si on appelle cela le destin.
Mais il y a une chose que je sais aujourd’hui, c’est que je valais plus que ça. Il me l’a fait comprendre ce soir-là.

Peut-être puis-je le remercier pour une chose… En s’appropriant mon intégrité, il m’a ouvert les yeux sur ma dignité. Je suis un être humain, merveilleux, talentueux, intelligent. J’ai réalisé à ce moment-là, à quel point je suis un être qu’on doit respecter.

Je suis une fille parmi tant d’autres. Qu’on a pris de force.
Je suis une fille qui a survécu.
Je suis une femme qui se tient debout. Qui a tout ce qu’elle désire dans la vie.

Parce que je suis forte.

Au bout du compte, peut-être est-ce lui la victime?
Victime de sa propre faiblesse…
Victime de sa détresse.

Les morceaux

Je réalise qu’en essayant d’oublier, en ne voulant pas lui donner du pouvoir sur moi, je l’ai fusionné à moi. Mon travail est maintenant de le sortir de moi. Ce crime, c’est le sien. Je dois me débarrasser de la culpabilité. Pour cela, je dois replacer les morceaux. Car cette partie de ma vie a volé en éclat ce soir-là. C’est ce qu’on appelle « la dissociation ». Le cerveau a des capacités insoupçonnées.

Je dois maintenant tout replacer pour tenter de me réparer…

Mes journaux intimes m’ont aidé à me rappeler. La mémoire est impressionnante de clarté. Quand tout remonte, quand tout revient, la libération commence. Qu’on me croit ou pas, ça m’est bien égal. Parce que seule moi sais. Et lui, évidemment…

Je l’ai aimé, je venais d’avoir 17 ans. Je l’ai rencontré chez lui, dans son sous-sol, parce que sa sœur m’avait invité chez elle. Il était grand, ses yeux bleus me chaviraient, j’étais complètement sous le charme. Deux semaines plus tard, nous étions ensemble. J’étais la fille la plus heureuse du monde. C’était la première relation amoureuse que je considérais vraie et faite pour durer. Je le trouvais si parfait et moi, je voulais être parfaite pour lui. À ses côtés, je me sentais protégée, privilégiée. Ha! La jeunesse et la naïveté…

Du jour au lendemain, terminé. Rien ne le laissait présager. Il avait rencontré une fille la veille dans un party. Il m’a appelé ce dimanche matin pour me l’annoncer, d’une façon très calme, presque banale. Je lui ai dit que je comprenais. J’ai eu si mal. Une peine d’amour qui a duré des semaines. Et un soir, j’ai discuté avec sa sœur. Je me rappelle si bien, nous étions elle et moi assise par terre dans ma chambre. Je lui parlais de son frère, lui disais que je n’arrivais pas à l’oublier, que cette relation était si parfaite, que lui était si parfait… Jusqu’à ce qu’elle me révèle : « Nat, mon frère, tu ne le connais pas vraiment… » Et c’est là qu’elle m’a raconté tous les mensonges qu’il avait inventés. Toutes ces histoires rocambolesques qui m’avaient charmée, toutes ces anecdotes qui faisaient que je l’admirais… tout cela n’était pas vrai. Il était un menteur compulsif. Il avait un problème. J’en suis restée bouche bée. J’étais amoureuse de qui?

Un soir, j’étais chez ma meilleure amie. Nous étions plusieurs dans le sous-sol. Elle m’a annoncé qu’il était pour venir… avec sa douce. Je ne voulais pas voir cela. Je ne voulais pas assister à ce bonheur, ça me ferait mal. Et je n’étais pas du genre à faire des drames, au contraire. Alors, je suis restée dans l’autre pièce, à jouer au billard avec des amis. Ainsi, je ne dérangerais pas et je ne souffrirais pas trop. Lorsqu’il est arrivé, il a su que j’étais là mais que je ne voulais pas venir le voir. Il s’est mis dans une colère noire! Je ne comprenais pas pourquoi il agissait ainsi, je me sentais si mal d’être responsable de ce chaos. Finalement, il a décidé de partir. Je me sentais coupable d’avoir gâché la soirée…

Jour de l’an… le party est chez lui. Mais il ne veut pas que je vienne. Sa sœur a finalement réussi à le convaincre. Alors, ma sœur et moi avons pu y aller. Je suis descendu au sous-sol, me faisant discrète, car il était dans la salle à manger avec ses amis et sa chérie. Je m’amusais avec mes amis, j’avais bu… un peu, beaucoup. Il y avait un garçon qui essayait de me charmer, qui me tournait autour… Et je l’ai vu descendre les marches. Il m’a vue. Il a vu ce gars à mes côtés. Il s’est mis à hurler, à me traiter de tous les noms, à exiger que je parte sur le champ. J’étais bouleversée, sous le choc. Ses amis tentaient de le calmer. Mais peine perdue, je devais partir. Ma sœur et moi, nous marchions dans la neige, encore ébranlées par ce qui venait de se passer.

Quand je repense à tout cela, déjà, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Mais j’étais jeune! Je ne me rendais pas compte de l’aberration de cette histoire. Lui, il avait le droit d’être avec une autre, il avait le droit de m’ignorer, de s’amuser. Pas moi. Moi, j’étais encore « sa chose ». Son ego était démesuré. Le fait que je puisse l’oublier, il ne pouvait le supporter.

Dans les mois qui ont suivi, ça s’est calmé. Je ne le revoyais que très rarement et il ne faisait plus d’histoire. Un soir, on était quelques-uns à aller voir les feux d’artifice. Il était là. Elle n’était pas là. Il avait été gentil. Je me sentais soulagée. Mais il ne m’intéressait plus. J’étais déjà rendue ailleurs, mon cœur ne lui appartenait plus.

Une année complète s’est écoulée. Et j’avais vécue d’autres histoires d’amour, d’autres déceptions de jeunesse, d’autres belles aventures qui m’avaient fait rêver et tellement de plaisir avec mes amis. J’avais 18 ans. Il s’est pointé chez moi avec deux de ses amis. Ça m’a surprise. Plus tard, lorsque tout le monde est parti, lui, il est resté. Il m’a pris par la main, on est descendu dans ma chambre. Le lendemain, j’ai regretté. Je me souvenais de ses mots doux, de ses yeux sur moi, de ses paroles que je ne pouvais lui renvoyer. Je me sentais mal. Je ne l’aimais plus. Je me sentais coupable d’avoir cédé.

Le lendemain, je l’ai revu. Et je lui ai fait comprendre que ça n’irait pas plus loin. Je n’étais plus intéressé.

Quelques mois plus tard, il est revenu chez moi. On faisait un party, en plein cœur de l’été. Et là, il a vraiment insisté: « Je t’ai toujours aimé, même quand j’étais avec elle, je n’arrivais pas à t’oublier. On devrait s’essayer à nouveau, on était heureux ensemble… » Mais je ne voulais pas. Il m’a pris par le bras, m’a assise sur lui. Il me flattait, continuait à insister, et moi, je persistais à lui dire « non ». J’ai réussi à me libérer de son emprise. Il est parti en claquant la porte, hurlant à tous que j’étais une agace. Je n’en revenais pas…

Je le revoyais parfois. Il me regardait à chaque fois. Il ne me faisait pas peur. Il était inoffensif pour moi. Parce que je ne pouvais pas m’imaginer ce qu’il préparait. Comment aurais-je pu…

J’avais 19 ans depuis quelques mois. C’était un samedi matin de janvier. Peu après la crise du verglas. Il m’a téléphoné. Ça m’a surprise. « J’avais le goût de faire quelque chose ce soir, j’savais pas avec qui, et je me suis dit : hey! Pourquoi pas Nat? » Et il n’arrêtait pas de me dire que je n’avais pas à m’inquiéter, que c’était juste entre amis, qu’il ne tenterait rien, je n’avais pas à avoir peur, on irait où je voulais … Mais j’ai hésité. Il insistait un peu trop. Je trouvais ça louche. Je lui ai dit que je réfléchirais. J’ai raccroché. Je trouvais cela vraiment étrange. Jamais il ne m’appelait.

Finalement, je l’ai rappelé. De toute façon, je n’avais rien de prévu. Et j’ai décidé de lui faire confiance. On était supposé aller dans une soirée.

Lorsque je suis embarqué dans sa voiture, il m’a dit qu’il avait eu une idée. Il avait de la bière avec lui, il m’a suggéré qu’on passe une soirée tranquille à écouter des films. J’étais un peu prise, je ne m’attendais pas à cela. Il avait son grand sourire, il était de bonne humeur, il était gentil. J’ai encore fait confiance…

Ce soir-là, il a réussi à commettre le crime qu’il avait planifié. C’est aussi simple que cela. Il m’a menti, manipulée, humiliée. C’était violent, c’était méchant, c’était terrifiant. Ce soir-là, il m’a violée. Dans ma chambre, dans mon lit…

Le lendemain, j’ai tenté d’en parler. J’étais sous le choc, je tremblais, j’avais besoin d’aide. Mais j’ai vite compris que je ne pouvais rien faire, qu’on ne m’aiderait pas. On m’a même fait sentir responsable. Je me suis refermée complètement. Je n’en ai plus jamais parlé.

La seule façon de ne pas le laisser me détruire était d’oublier complètement cet événement. Ne plus jamais lui parler, ne plus jamais y penser. Et dans les mois, les années qui ont suivies, j’ai réussi à cacher ces images, les enfouir très loin, le plus loin possible. Mais la honte et la culpabilité sont restées. Le dégoût, la tristesse, la peur… ça ne s’est pas effacé. Jusqu’à ce que les images remontent… à 39 ans.

J’ai voulu me protéger en me taisant et en oubliant. Mais ça m’a empoisonné. Le corps n’oublie pas. Le cerveau continu de réagir en fonction de la blessure. Cette blessure qu’on ne comprend pas… Qu’on n’arrive pas à cerner.

Il ne méritait pas ce silence qui l’a sauvé. Je dois sortir cette horreur de moi. Pour ce faire, je dois parler. Dissocier ce monstre de moi. Lui redonner ce qui lui appartient. Comprendre que je ne méritais pas ce qu’il m’a fait.

Le travail n’est pas terminé. J’ai encore du chemin à faire. Je replace les morceaux, peut-être pour faire du sens, tenter de répondre à cette fameuse question… Pourquoi?

La tentative

Il y a de plus en plus de ces journées, celles où l’on revient dans le présent. Enfin…
Quel tourbillon que cette horreur! Pourquoi vivre une chute de cette ampleur?
Respirer, trouver l’énergie, revenir dans la réalité, oublier le passé.
Finalement, peut-être que tout cela est terminé? Non, je le sais…

J’ai décidé d’accepter ces émotions qui arrivent subitement, irrationnellement.
J’ai décidé de les ressentir lorsqu’elles veulent sortir. J’ai décidé de baisser les bras, je crois.

Un moment nécessaire, une pause essentielle, un arrêt pour mieux avancer.
Le jour, c’est plus facile. Je m’accroche à ce que j’ai, aux gens que j’aime.
La nuit, c’est différent. Je me réveille avec ces terribles sentiments. Mais je sais, tout cela est normal. Je dois l’accepter maintenant.

L’autre jour, j’ai dit à ma fille « Je vais bien, tu ne trouves pas? Peut-être que finalement, j’aurais pu commencer la rentrée! »
Et elle m’a répondu aussitôt : « Maman, tu oublies vendredi dernier, tu as passé la journée couchée… et mardi, quand tu as appelé papa parce que tu étais en voiture et que tu n’arrivais plus à conduire… »
Oui, la réalité, on a tendance à l’oublier vite. Quand les belles journées se pointent le bout du nez, on croit que tout est terminé, qu’on est enfin guérie! Me donner le temps, c’est ce que je dois faire.

Il est surprenant de réaliser à quel point le corps doit se débarrasser des émotions refoulées. Et ce ne sont pas que les émotions vécues lors du trauma, mais celles qui nous ont suivi pendant toutes ces années. Ces nuits où je me réveillais, pensant que je devenais folle. Ces virées interminables dans les transports en commun où je devais gérer mon anxiété. Ces soirées, seule, à regarder la télévision avec la tristesse profonde comme je ne l’ai jamais vécue. Toutes ces émotions reliées au trauma, toutes ces sensations corporelles figées en moi, je dois les laisser m’envahir pour enfin, m’en débarrasser. Je dois les affronter.

J’accepte. J’accepte que ce soit arrivé. Je n’ai pas vraiment le choix.  Je dis cela aujourd’hui en sachant que demain, je ne l’accepterai peut-être pas. Et ça aussi je l’accepte.

J’accepte de m’en vouloir. J’accepte d’être parfois ridicule. J’accepte d’être impulsive et irrationnelle. J’accepte d’être complètement à côté de moi-même. J’accepte cette perte de contrôle incontrôlable… J’accepte d’être incapable de l’accepter…

J’accepte de replacer cela dans ma vie, même si j’ai fait tant d’efforts pour l’effacer et que j’avais réussi. Enfin, c’est ce que je croyais. J’accepte que cet événement ait modifié mon chemin. Parce que, au final, je suis exactement là où je voulais être.

J’accepte surtout le fait d’avoir été forte. Oui, aujourd’hui je tombe, parce que c’est épuisant être forte. Vingt ans à tenir bon, à garder la tête hors de l’eau, à vivre mes émotions en silence, à enfouir cette honte le plus loin possible, à ressentir cette colère tout en se croyant responsable, à tenter le plus possible de retrouver confiance. J’accepte que tout cela ait fait partie de ma vie… je n’ai pas le choix. Je le sais maintenant, j’ai passé vingt ans à ne pas l’accepter. Il est temps de voir la vérité en face.

C’est un processus. Aujourd’hui, je vais bien. Demain, ce sera peut-être différent. Mais j’accepte de prendre le temps. J’accepte le processus de guérison.

Guérir ne veut pas dire effacer. Maintenant, ça je le sais. Et je tente de l’accepter…