Cette chambre, je l’aimais tant. C’était mon refuge, mon domaine, ma caverne. À 15 ans, puisque mon amie venait souvent dormir chez moi et que nous nous installions au sous-sol, j’ai demandé à ma mère si je pouvais y déménager ma chambre. Elle a accepté, à la condition que ma sœur puisse venir si elle le souhaitait. Car il faut comprendre que ma chambre est devenue aussi un salon. Le sous-sol n’était pas très grand en soi, nous n’avions pas une grande maison. C’était une petite maison de ville, mais nous y étions si bien.
Dans un coin, près de la fenêtre, mon lit tout défait. La petite table de chevet qui appartenait jadis à cette grand-mère que je n’avais jamais connue, dans laquelle je mettais tous mes journaux intimes. Je me rappelle l’odeur qui émanait de ce petit meuble en bois. Mon téléphone blanc et mon réveille-matin y étaient déposés. La fenêtre donnait sur le parking de la maison. Elle servait de porte d’entrée à mes amis qui, le soir, venaient me visiter discrètement. Au-dessus de mon lit, un poster de Jim Morrison.
Dans un autre coin, le côté salon. Il y avait un foyer au bois. J’adorais faire du feu et écouter le son, respirer la senteur. J’y brûlais parfois des poèmes, des mots de colère, des vœux chers. Lorsque je me couchais, je regardais les couleurs dorés qui envahissaient la pièce. Deux fauteuils faisaient face au meuble de télévision. Des fauteuils qui avaient atterris là au lieu d’être jetés. Ils étaient parfaits pour les adolescents qui s’y vautraient.
J’avais reçu un système de son pour ma fête. Je ne pouvais vivre sans musique. Harmonium, Pink Floyd, The Doors, The Cranberries, Les Colocs, Jean Leloup, Zébulon, Janis Joplin, Led Zeppelin, Nirvana, The Beatles… Ces sons qui m’apaisaient, me redonnaient confiance, m’inondaient de bonheur. Aussi, le tourne-disque de mon père, premier témoin de mon amour pour la musique, me permettait d’écouter les 33 tours et les 45 tours qu’il m’avait donnés, me plongeait dans cette époque qui me faisait rêver.
Pour aller dans ma chambre, on descendait l’escalier en tapis tacheté rouge et brun. À gauche, la petite pièce de lavage. À droite, mon univers. Accotée au mur, ma commode en bois avec un miroir. À côté, un petit lavabo (autrefois il y avait un coin bar). C’était parfait pour l’adolescente que j’étais. Je pouvais me maquiller, me démaquiller. Je n’avais pas beaucoup de vêtements, je n’étais pas très « à la mode ». J’étais plutôt du type confort et simplicité. Mais j’aimais tout de même me préparer minutieusement, en écoutant de la musique, pour me mettre dans l’ambiance avant de sortir dans un party ou dans un bar.
On n’avait pas la place pour le grand divan d’autrefois. On a tout de même gardé les grands coussins de ce dernier. Quand les amis dormaient à la maison, on construisait des matelas de sol avec ces grands carrés gris moelleux. Lors de la crise du verglas, ma chambre ressemblait à un camp de réfugier. Le foyer nous réchauffait, nos rires nous réconfortaient, notre jeunesse nous comblait. Ma chambre, tout le monde l’appréciait.
Les fins de semaine, ma sœur et moi aimions recevoir des amis lorsque nous étions seules. La maison se remplissait de rires, de chansons et de conversations. Parfois, en plein milieu de la soirée, j’allais en bas, je m’écrasais dans un fauteuil, j’écrivais. J’avais besoin de ces moments de solitude et d’introspection. Ce lieu, c’était ma sécurité.
J’entends encore ces coups à la fenêtre, en plein milieu de la nuit. J’entends le feu qui caresse le bois. J’entends les rires de la jeunesse. J’entends les confidences entre amis. J’entends la musique, omniprésente. J’entends mes pleurs sous les draps.
Je vois des vêtements qui traînent sur le sol. Je vois des cendriers qui débordent. Je vois des poèmes sur la table basse. Je vois des romans, des cahiers. Je vois les oursons de mon enfance et des bouteilles de bières vides. Je vois mes mains remplies de larmes.
Cet endroit, il est encore en moi. La nuit, parfois, j’y retourne m’y réfugier. Je crois que je ne suis jamais partit. J’y serai toujours. L’inconscient est bien réel, j’en suis la preuve vivante. Dans ce lieu théorique et hypothétique, s’y cache ce qui nous définit, ce qui nous sécurise et ce qui nous effraie. Dans cette chambre, j’y ai vécu des bonheurs et des malheurs. Mais jamais je n’ai cessé de l’aimer. Jamais personne ne me l’a enlevée.
Malgré le traumatisme que j’y aie vécu, cette chambre a survécu. Elle est la demeure de mon âme. Elle est le terrain de mes insécurités. Elle est la résidence de ma résilience.
Lorsque je descends au sous-sol, je retrouve mon essence.