Malheureusement, ce silence existe bien.
Il existe chez ces gens que j’estimais.
Le silence qui tue, qui brise, qui culpabilise.
Les gens ne se doutent pas à quel point c’est grave.
Et alors, on banalise. On ferme les yeux. C’est préférable.
Vingt ans plus tard, j’ai voulu réparer.
Dire la vérité, car eux aussi, on leur a menti.
Je me devais de leur dire ce qu’il avait fait!
Eux aussi, ils méritent de savoir!
Je ne dois pas leur cacher. Je dois faire ce qui doit être fait.
Ce que j’aurais dû faire à l’époque.
Ce que je n’ai pas fait car j’avais trop peur, je voulais me protéger.
Je me sentais coupable alors qu’il n’en est rien.
Leur silence est le pire d’entre tous.
Car ils étaient là, ils étaient là…
Ils ont fermé les yeux.
En retournant vers eux, en leur disant la vérité,
Pour qu’ils sachent, qu’ils sachent que je dis vrai,
Je croyais que, maintenant, ils m’écouteraient.
Non. Ils préfèrent fermer les yeux. Encore.
Ils me confirment, encore, que je ne suis rien.
Qu’il est plus important que je ne le suis.
Que sur l’échelle de la valeur humaine, il l’emporte sur moi.
Qu’il m’ait violée, ça ne regarde que moi.
Leur silence est le pire d’entre tous.
Car ils étaient présents, ils étaient mes amis.
Je suis parti à cause de lui.
Il avait gagné, il avait réussi.
C’était à moi de refaire ma vie.
Lui, il pouvait continuer à sourire, à fêter avec eux.
Pendant que moi je courbais l’échine, j’étais pliée en deux.
Vingt ans plus tard, j’ai cru qu’on me prendrait au sérieux.
Qu’on serait révolté en sachant ce qu’il m’a fait.
Qu’on comprendrait la gravité, l’horreur, les impacts et la douleur.
Mais il n’en est rien. Rien.
Leur silence est le pire d’entre tous.
Il vient confirmer ce que j’ai ressenti à l’époque.
Je suis seule. Complètement seule.
C’est entre lui et moi.
Eux, ils ne veulent pas s’en mêler.
« Ça ne m’appartient pas… »
« Ça ne me regarde pas… »
« Je te souhaite de prendre du mieux… »
« C’est toi qui étais là… »
« Il se défend, c’est normal… »
« Pourquoi tu ne nous l’as pas dit? »
Vous avez la réponse.
Je vous le dis aujourd’hui,
Et ça ne change rien.
Au contraire,
Ça vient me briser encore plus.
Voilà pourquoi les victimes se taisent.
Vous en êtes l’exemple même.
Je suis seule. Complètement seule.
Et quand vous frapperez votre bière contre la sienne,
Souriant à pleines dents,
J’espère que vous aurez une petite pensée pour moi,
Une toute petite,
Car je ne suis plus là,
Il a gagné.
Et ne jouez pas à l’autruche,
Arrêtez de vous mentir,
Vous croyez ainsi vous protéger…
En vérité, c’est lui que vous protégez.
C’est le silence de la complicité.
Novembre 2018