Je suis la criminelle,
Quel monde cruel…
Je viens de recevoir une mise en demeure. Il y a quelques jours. De lui. De son avocat.
J’en parle, car je trouve cela complètement inconcevable.
Dans quel monde vivons-nous?
Je dois me taire. Sinon il peut me poursuivre. Sinon, il va me poursuivre.
On nous dit de parler, de dénoncer. Cette libération de la parole a un prix, j’en étais très consciente. Et lorsque j’osais m’affirmer, du bout des lèvres, j’avais toujours peur. Peur de passer pour la méchante, la criminelle. Peur que cela me nuise. Cette lourdeur que je ressentais à chaque fois. Cette lourdeur qu’il a déposée sur moi ce soir-là et dont je n’ai jamais pu me débarrasser. Le poids du silence. Toujours.
J’ai laissé tomber ces amis. Je les percevais complices de ce viol. Dans mon esprit, je n’étais rien. Il avait réussi son coup, il irait s’en vanter. Et puis, on ne ferait rien. Car je l’avais mérité.
J’ai tout quitté et je me suis refermé sur moi-même. J’ai vécu un traumatisme grave qui a laissé des séquelles dans ma vie. Et c’est lui… que l’on doit protéger. Laissez-moi hurler!
Lorsque mon choc post-traumatique a débuté, l’urgence en moi a été de parler. Cette urgence de réparer, de crier haut et fort ce qu’il m’a fait, ce que j’ai enfoui, ce qui m’a empoisonné pendant toutes ces années. La femme rationnelle et en contrôle s’est effondrée. Les émotions se sont mises à exploser. Mais ça… évidemment… j’aurais dû encore me la fermer! J’aurais dû le protéger! Ne rien dire pour ne pas lui nuire! Ce pauvre homme victime de ma colère. Pleurons en cœur…
Maintenant, j’ai cette mise en demeure qui me menace de poursuites si je tiens encore ces « propos mensongers ». On me dit que je serai tenue responsable de tout dommage qui pourrait en résulter! Je frissonne rien qu’à lire ces phrases qui me transpercent. Je suis une méchante sorcière… et cela me donne encore plus la conviction que nous ne devons pas nous taire.
Je faisais attention à ce que je disais, faisais… je me sentais coupable de parler, et on me disait que je n’avais pas à cacher la vérité.
Si j’ai hésité à parler de ce que j’ai vécu, maintenant, la question ne se pose plus. Cette mise en demeure est la preuve qu’il n’y a rien de changé. Elle est la preuve de l’aberration sociale dans laquelle nous sommes encore prisonniers. Elle est la preuve que nous devons, plus que jamais, parler.
Nous avons un réel problème de société. Nous avons un réel problème à régler. Durant cette année du mouvement #moiaussi, des gens se sont indignés des dénonciations en utilisant le concept de « chasse aux sorcières ». Ce qui me faisait carrément frissonner. La chasse aux sorcières, ce sont les victimes qui la vivent. Depuis des centaines d’années.
Je parlerai. Je ne me tairai jamais. Je ne mens pas. Je vais me lever pour toutes ces victimes qui sont réduites au silence. Pour toutes ces femmes et ces hommes qui n’osent dénoncer. Parce que la peur nous tient, la peur nous écrase, la peur nous brise.
Cette mise en demeure vient jouer sur ma peur…
Je dois être forte. Plus que jamais.
Je ne dois pas le laisser encore me dominer.
Je dois crier à l’injustice. Je ne peux faire autrement.
J’assume tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai dit.
La vérité sera toujours mon cheval de bataille.
Qu’on me poursuive, qu’on m’emprisonne, qu’on me mette au bûché,
Jamais je ne mentirai!