Survivre

Survivre. Survivre à l’intolérable, à l’inconcevable. Survivre à la douleur sans fin, à la destruction de soi, à l’humiliation suprême. Survivre malgré le froid dans le corps, ce froid de la mort. L’instinct de survie qui surgie, cette force extraordinaire qui nous envahie d’un coup, lorsque nous sommes à notre plus bas. Les larmes qui cessent de tomber, le dos qui se redresse, la tête qui se soulève. Décider consciemment d’oublier. Refuser d’inclure ce moment dans sa vie. Se promettre que plus jamais cela ne se reproduise. Plus jamais! Ne pas tomber, surtout pas à cause de lui! Seule justice possible… ne pas tomber. Se promettre de tout faire pour réussir sa vie, se promettre de tout balayer ce passé, se jurer d’être forte et de ne plus pleurer… ne plus pleurer.

Faire comme si ce n’était jamais arrivé. Chasser les images lorsqu’elles surgissent. Lutter contre une partie de soi qui est brisée. Refuser cette brisure. Refuser cette cassure. La seule façon de ne pas le laisser gagner. La seule façon de crier à l’injustice. Le silence qui hurle la vérité.

Ne plus être la même. Avancer différemment. Vouloir être quelqu’un d’autre. Chercher le bonheur. Ne plus trop savoir comment. Le chercher quand même. Le chercher à l’extérieur de soi. Ne plus vouloir regarder à l’intérieur. Cet intérieur qui tue. Cet intérieur que je ne voulais plus.

Se nourrir de lecture, d’apprentissage, d’objectifs pour le futur et de phrases positives pour traverser le passage. Vivre dans un monde parallèle, ne pas trop s’affirmer, ne pas voir ce qui fait mal, accepter. Fermer les yeux sur les blessures, sur l’inacceptable, pour ne pas dévier de la route, ne pas perdre de vue l’objectif tant attendu.

S’étourdir pour moins souffrir. Un peu trop souvent. Tout le temps. Ne plus pouvoir faire autrement. Lutter contre cette anxiété qui fait partie de soi. Se sentir responsable d’être incapable de la chasser. Trouver des moyens, tant bien que mal, pour calmer ces moments de panique, ce sentiment de n’être rien, d’être vide, d’être pathétique. Ne pas être en mesure de s’aimer, de retrouver cette confiance jadis présente. L’attendre, en vain.

Contrôler ses émotions. Ne pas vouloir les ressentir. Ne pas les montrer. Avoir l’habitude de les cacher. Cette douleur qu’on a mis tant de mal à refouler. Ravaler ses larmes, toujours. Ne pas révéler sa faiblesse. Pour se protéger. Pour continuer d’être forte. Pour ne pas tomber. Être fidèle à sa promesse. Ne pas écouter sa colère. Ne pas entendre sa tristesse. Faire semblant qu’on n’a pas peur. Faire semblant, tellement.

Garder l’objectif en tête. Toujours chercher à l’extérieur de soi ce qui guérira. Avoir des victoires, sourire de nouveau, s’aimer un peu, dans un regard de tendresse, qui nous fait peur sans le vouloir. La méfiance qui nous suit, malheureusement. Qui prend du temps à s’évanouir. Une lutte sans fin.

Effacer le passé, enfin. Avoir réussi à mettre un mur. Atteindre l’objectif après tout ce temps. Regarder le ciel et être cent fois reconnaissante. Avoir l’impression de ne pas mériter tout cela. Se considérer la plus chanceuse du monde. Aimer sa vie, finalement. Ne pas regarder derrière. Ce passé qui nous lève le cœur. Se dire qu’un jour, peut-être, on s’occupera de ça, quand sonnera l’heure. Pas maintenant. Profiter du bonheur. Cette merveilleuse douceur.

Et un jour, décider consciemment de se souvenir. Briser le mur, subir le choc, tomber dans le gouffre, souffrir à nouveau. Et vouloir guérir. Réparer, enfin, son intérieur. Laisser jaillir les émotions si longtemps maîtrisées. Pour ne plus avoir à survivre. Pour pouvoir, enfin, vivre.

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