Parce que tu me désirais, mais pas moi. Je n’étais plus obnubilée par toi. C’était du passé. Mais pour toi, c’était impensable que je te tourne le dos comme ça.
Je n’avais pas peur de toi quand tu insistais, quand tu me regardais, quand tes yeux se posaient sur moi avec ce regard qui disait tout. Tu étais un parmi tant d’autres à qui je disais « non ». Tu n’étais plus à la hauteur de mes attentes. Tu t’es senti rejeté, humilié. Ça te mettait en colère que je sois heureuse sans toi, de savoir que d’autres s’infiltraient dans mon lit alors que toi tu ne pouvais plus. Tu ne le supportais pas. Ton égo était affecté au plus haut point.
À défaut de réussir, tu t’es mis à rêver, imaginer… fantasmer. Les images, les scénarios, sont devenus de plus en plus clairs, de plus en plus réalistes. Tranquillement, ces fantasmes sont devenus des plans, des possibilités. Tu as pris la peine d’y réfléchir, de conceptualiser, jusqu’à ce que tu décides de passer à l’action. Tu as pris le téléphone et tu as décidé de te lancer. Il ne fallait surtout pas que tu rates ton coup. Tu savais que tu n’aurais pas une deuxième chance.
Tu as insisté, disant que ce n’était qu’entre amis et que je n’avais pas à avoir peur. Tu sortais des phrases sympathiques, amicales, essayant d’être rassurant tout en étant insistant. Tout à coup, tu me respectais, tu ne voulais que mon bien, tu avais pensé à moi subitement, par hasard. Tu as senti mon hésitation… Tu t’en doutais bien que je serais sur mes gardes. Tu m’as donc remis le contrôle, pour que je ne me sente pas coincée et que je fuis, tu m’as dit que je décidais, que je choisissais, donc inutile pour moi de craindre quoi que ce soit.
Et ça a fonctionné.
Je t’ai rappelé.
J’ai accepté.
La première étape de ton plan avait fonctionné. Tu devais tellement être fier. Tu étais intelligent, débrouillard, brillant manipulateur.
Tu t’es préparé. Lavé. Parfumé. Tu as choisi ce que tu étais pour porter.
Probablement que pendant tout ce temps, tu te répétais quoi dire, quoi faire, pour que tout fonctionne selon tes plans…
Tu es venu me chercher. Souriant, joyeux, agréable. Tu as donc lancé tout bonnement cette idée. Une soirée tranquille à la place. Pourquoi pas? Tu espérais que je dise oui. Et si je n’avais pas voulu, qu’aurais-tu fait? M’aurais-tu amené en voiture dans un endroit perdu? Aurais-tu passé une soirée avec moi au bar en étant le plus sympathique du monde pour que la prochaine fois, j’accepte d’être seule avec toi? Avais-tu un plan B…C…D?
Mais j’ai accepté. Deuxième étape réussie. La fierté a dû te monter à la tête. Le stress aussi peut-être. Mais ta détermination était toujours belle et bien présente. Hurlante. Tout fonctionnait.
Tel un gentleman, tu m’as amenée au club vidéo. Tu m’as probablement laissé choisir les films. Tu as certainement payé. Et on est allé chez moi, dans ma chambre, pour les regarder.
Mais toi, tu continuais à planifier. À chercher le bon moment. Il te fallait être patient. Attendre que j’aie bu plus qu’une bière. Au moins deux, au mieux trois… Patience, patience… ce n’en sera que plus facile.
C’était le bon moment. Tu n’en pouvais plus. Il fallait bien que tu te décides. « C’est là. Maintenant. Go, j’y vais ».
Tu t’es assis devant moi et sans attendre, tu t’es jeté sur mon corps sans retenu. Tu m’envahissais complètement pour que je ne puisse pas m’éloigner d’un pouce. J’étais prisonnière de ce fauteuil que tu utilisais si bien pour m’encercler. Tu savais très bien que je dirais « non » et c’est exactement ce qui s’est passé. Mais tu avais tout prévu.
Être tendre,
Être sensuel,
Être dominant,
Chasser mes paroles en disant « laisse-toi faire »
Ne pas abandonner, persister, jusqu’à ce que je me laisse faire…
Et si ça n’avait pas fonctionné, qu’aurais-tu fait? Si je t’avais repoussé, si j’avais crié, si je m’étais mise en colère contre toi, qu’avais-tu prévu? Avais-tu un plan B… C… D?
M’amener dans mon lit. C’était le bon moment, tu l’avais compris. J’avais fondu sous tes caresses et tes baisers. Je m’étais laissée aller à cette sexualité que tu me proposais. Tu avais réussi à me faire croire que j’étais ta reine, ta privilégiée, ta douce, et que tu serais tendre comme jamais. Tu m’as vite fait comprendre que tu t’occupais de tout, que je n’avais qu’à profiter de tes attentions précieuses, que tout serait bon.
Ma peur toujours présente, je doutais de moi. Car je ne voulais toujours pas. Mais tu étais si sûr de toi. Si confiant, si convaincant, que je me suis dite » une dernière fois… »
Dans le lit, tu y es allé avec adresse. Je ne t’avais jamais vu comme ça. J’étais mitigée. Je ne pouvais plus reculer.
Ton sourire satisfait…
Satisfait car tu y étais presque.
Satisfait parce que ton plan A avait fonctionné bien plus facilement que tu ne l’aurais cru.
Satisfait parce que j’avais été naïve, manipulable,
Et qu’à présent j’étais complètement vulnérable.
J’étais maintenant à ta merci,
Je ne pouvais plus m’enfuir,
Tu pouvais maintenant faire ce que tu voulais,
Ce que dont tu rêvais, ce que tu fantasmais…
« Elle ne se doute pas de ce qui s’en vient… »
Ce sourire que tu avais, jubilant à me voir là, innocente et soumise.
Ton plan avait fonctionné.
Tu as pu mettre à exécution la violence que tu avais dissimulée.
Qui te grugeait de l’intérieur. Que tu avais tant refoulée.
Cette vengeance qui n’en pouvait plus d’attendre.
Cette destruction que tu avais si hâte de m’imposer.
Voir la peur m’envahir, sentir ce besoin de fuir,
Constater ma panique et mon désarroi,
Voilà enfin ce que tu espérais tant!
Ton sourire le disait ouvertement!
Tes paroles froides, cinglantes, tranchantes,
Me renvoyaient à mon rôle d’être inférieur,
Me faisant comprendre que j’étais maintenant sous tes ordres,
Que peu importe mes besoins, c’était toi le maître,
Toi seul avais le contrôle,
Moi, je n’étais que cette fille naïve qui était tombé dans le piège,
Tant pis pour moi.
Quel plaisir en retirais-tu?
Comment comprendre ce moment dans lequel j’étais complètement perdue?
Pendant que je ne comprenais pas ce qui se passait, pendant que je vivais la plus grande peur de ma vie, pendant que je pensais mourir, pendant que ma tristesse m’envahissait au plus haut point, pendant que ma honte me submergeait à voir mon corps sous tes coups, pendant que ma colère était telle que je ne ressentais plus rien,
Toi, tu aimais ça, tu soupirais ta jouissance, tu bougeais d’excitation, tu touchais ma peau avec désir, mon âme n’existait pas, mon corps te suffisait, mon corps t’appartenait, et ça, ça te comblait totalement…
Ce moment dont je ne me souviens que de quelques bribes,
Des bribes de sons, d’odeur, d’images, mais surtout d’émotions.
Ces bribes de vide, d’absence, de stupeur, d’incompréhension.
Jusqu’à ce moment final, ce moment où tu es venu en moi,
Ce moment-là complètement insensé et inconcevable,
Tu m’avais violée.
Tu m’avais fait ça.
Cette émotion-là, ça ne s’invente pas.
Cette émotion-là, elle reste en nous pour toujours.
Tu m’avais violée.
Tu m’avais fait ça.
Mais tu avais prévu aussi la fin. Le dernier coup à donner avant de partir.
Il fallait bien que tu te déresponsabilises.
Il fallait bien que je me taise.
Il fallait bien me faire peur encore pour que je meure vraiment.
Il fallait bien que tu termines le boulot complètement.
Tu as donc jeté sur moi ces paroles.
Je l’avais mérité.
Je n’avais pas à me plaindre.
Personne ne me croirait.
Personne.
Tout le monde rirait de moi.
Tout le monde me méprise de toute façon.
Je l’avais cherché.
J’avais accepté.
Le reste, je devais l’assumer.
Si j’avais vécu ça, c’est parce que je valais ça.
Tu as entendu mes cris qui t’ont fait bondir.
Ma rage qui t’a fait fuir.
Tu t’es sauvé car je réagissais,
Je venais de sortir de ma torpeur,
Je hurlais ma douleur,
Ma colère t’a fait peur…
Depuis, tu es tranquille.
Plus de 20 ans de cela que ton plan a fonctionné.
Y penses-tu encore parfois?
Vois-tu ces images, entends-tu ma voix?
Celle qui te disait de ne pas faire ça, de me lâcher,
Celle qui tremblait de peur et que tu t’amusais à nier…
Tu sais maintenant que j’ai parlé.
Comment prends-tu cela?
Je suis plus forte qu’à l’époque, ça tu le sais!
Trembles-tu un peu, dis-moi?
Rages-tu contre celle que tu ne maîtrise plus?
Ces vingt ans passés te font du tort,
Je n’ai plus 19 ans, et ce crime n’est pas disparu pour autant…
As-tu commencé à éparpiller des mensonges pour te sortir de la honte?
As-tu un plan B…C…D?
29 mars 2019