Fragile guerrière

Oui, j’ai peur.
Présentement, c’est ce qu’il se passe en moi,
Je ne suis pas une mauvaise personne,
Je n’ai pas l’habitude de faire ça,
Je préfère toujours être blessée que blesser,
Je préfère ravaler que cracher,
Je préfère assumer que dénoncer…

On entend partout : « le passé est passé! Il faut tourner la page, lâcher-prise! »
Comment faire pour avancer dans ce chemin lorsque ces principes, on y croit?
Quand depuis des années, on a l’habitude d’utiliser ces mécanismes-là?
Quelle lutte difficile que celle contre soi-même,
Quelle bataille épuisante que celle contre ses propres démons…

Peut-être est-ce de cela dont je dois me libérer?
Peut-être qu’il est là mon lâcher-prise?
Lâcher-prise sur ce réflexe de me taire et m‘effacer,
Lâcher-prise sur cette impression que je ne mérite pas d’être aidée,
Lâcher-prise sur cette habitude que j’aie de minimiser,
Lâcher-prise sur cette peur de m’affirmer,
de demander justice pour moi-même,
Lâcher-prise sur mon sentiment de responsabilité, de culpabilité…

Peu importe ce qu’on me fait subir,
Je vois toujours l’humain qui est devant moi.
Mon âme préfère pleurer sans bruit,
Pardonner est tellement plus facile, croyez-moi…

Ce serait tellement plus simple de faire volte-face,
Ne pas faire de vague, me replonger dans le silence.
Pour moi, ce serait du connu! La routine!
Me défendre… je peux le faire, mais je me sens coupable,
Me lever et reprendre mon droit,
Me tenir debout, être forte,
Voilà l’urgence, l’évidence, la fatalité,
Enfin, voir l’humain en moi,
Enfin, parler pour les femmes réellement,

Écrire, je sais faire…
Parler, j’y suis habituée…
Mais agir, concrètement,
Avoir ce pouvoir entre mes mains,
Alors que mon pouvoir on me l’a un jour arraché…

Et quand depuis tant d’années, on croit que notre humanité n’existe pas,
Quand on nous a enlevé cette certitude-là,
Il est difficile d’être convaincue du bien-fondé de cette démarche,
Qui suis-je pour faire ça?
Je ne suis pas grand-chose,
Je ne suis pas plus importante qu’un autre,
Je ne suis qu’une fille qui a été utilisée,
Qui doit prouver, démontrer, avec toute la conviction possible,
Qu’elle ne méritait pas cela,
Qu’elle vaut plus que cela.

Il est si difficile d’avoir confiance en soi,
Quand la blessure, elle est justement là…

Un jour, se sentir guerrière,
Le lendemain, vouloir rentrer sous terre…

Je m’accroche à la vérité,
Je m’accroche à l’évidence,
Je m’accroche grâce à ces gens qui m’aiment,
Je m’accroche à la justice,
À toutes celles qui ne parleront jamais,
Je m’accroche un jour à la fois,
En ne sachant pas trop vers quoi cela me mènera.

Je ne suis pas la première,
Je ne serai pas la dernière,
Je ne serai qu’une parmi tant d’autres,
J’aurai été au bout,
J’aurai fait ce qui est juste,
Même si je dois me sacrifier,
Même si cela m’arrache le cœur,
Même si la blessure s’ouvrira encore et encore,
Même si la lutte est cruelle,
Même si je dois être plus forte que moi-même,
Même si je doute sans cesse.

Me convaincre que je suis digne,
Faire confiance dorénavant,
Malgré cette peur que j’aie,
Qu’on me laisse tomber,
Qu’on ne me croie pas,
Qu’on juge que ce n’est pas si important que cela…

Malgré ces obstacles évidents,
cette jeune fille brisée,
Ne jamais la laisser tomber.
Foncer droit devant,
Avec comme seule arme la vérité.

Cette arme qu’il ne pourra jamais utiliser…

Je suis là, maintenant…

Tu as bien fait Nat,
De vivre ça 20 ans plus tard.
Tu as bien fait, rassure-toi,
Tu te devais de faire ça.
Ce n’était que partie remise.
Ce n’était que partie remise…

Tu as bien fait Nat.
Tu avais trop mal,
Trop de peine,
Trop d’horreur, Nat.
Comment pouvais-tu faire?
Comment pouvais-tu rester sur terre?
Il fallait partir dans les airs Nat…

Je te revois Nat,
Je te revois pleurer, souffrir, seule, tellement seule…
Ne t’en veux pas Nat,
Moi, je ne t’en veux pas.
Je suis là maintenant.
Et moi, je ne te laisserai pas tomber,
Comme je te l’ai promis à l’époque.

Tu te souviens?
Je t’avais promis que je ne te laisserais pas tomber,
Et j’étais la seule personne en qui tu avais confiance…
La seule Nat…
Tu te souviens?

Je ne t’abandonnerai pas Nat,
Tu peux être rassurée,
Parce que maintenant, je suis rendue là où tu le voulais,
Je t’ai écoutée, j’ai avancé,
J’ai atteint ce que tu désirais,
Je peux maintenant t’aider,
Je suis rendue là Nat,
Tu peux compter sur moi…

Tu sais Nat,
Ce que les gens disent, pensent,
Ça ne nous fait rien, hein?
On sait ce qui s’est passé,
On sait ce qui est vrai… Nous on le sait.

Je vais te défendre maintenant.
Moi, j’en ai la capacité,
Je suis rendue grande et forte, si tu savais!
J’ai réussi tant de choses depuis,
Je suis une adulte, une grande personne!
Je suis rationnelle, logique,
Je peux t’aider maintenant!

Ho Nat,
Attends-moi…
Je sais que c’est difficile,
Je sais que tu te sens seule,
Je sais …
Tout a été brisé,
Tu crois que tu es à blâmer,
Et tu le croiras pendant tant d’années…

Fais-moi confiance Nat,
Un jour, tu seras libérée.
Je te le promets.
Un jour, tu respireras, oui! C’est bien vrai,
Un jour, tu comprendras ce mal-être que tu as,
Tu mettras des images sur ce qui ne va pas!
Tu comprendras ces blocages que tu as,
Je te le jure, tu sauras…

Nat,
Tu n’es pas folle, crois-moi,
On t’a fait du mal, ça t’a blessée, ça t’a marquée,
Ton âme est brûlée, c’est aussi simple que ça,
C’est dommage, mais c’est ta vie,
Et tu grandiras, ne t’inquiète pas,
Tu grandiras…
Peu importe ce qui arrivera,

Continue de choisir le chemin qui te fera grandir,
Qui te rendra fière de toi,
Comme tu as toujours su le faire,
Toujours,
Toujours…

Et n’oublie pas Nat, je compte sur toi,
Comme tu peux compter sur moi.
Mais ça… tu le sais déjà,
On le sait toi et moi…

La décision

Pourquoi je le ferais? La question…

Parce que c’est grave.
Parce que ça brise une vie.
Parce que c’est un crime.
Parce que je mérite le respect, de mon être, de ma dignité, de mon intégrité.
Parce que personne n’a à vivre ça, y compris moi.
Parce que trop de gens encore ne comprennent pas la portée d’un tel geste.
Parce que les conséquences sont si nombreuses.
Parce que ça affecte plusieurs sphères de la vie.
Parce que c’est un traumatisme épouvantable.
Parce que ça laisse des séquelles psychologiques.
Parce que ça a des impacts sur la santé physique.
Parce que c’était planifié, prémédité.
Parce que ma colère est légitime et que je veux l’exprimer intelligemment.
Parce que je veux reprendre le pouvoir qu’il m’a enlevé.
Parce que je veux rétablir les faits.
Parce que j’ai le droit d’être entendue et considérée.
Parce que j’ai avec moi la chose la plus importante, la seule chose nécessaire, la vérité.

Mais surtout,
Parce qu’il n’avait pas le droit de me faire ça.
Et moi, j’ai le droit de faire ça.

Mais la vraie question est…
Pourquoi je ne le ferais pas?

Parce que de doute façon, ma vie est peut-être plus belle que la sienne? Parce que je suis peut-être plus heureuse que lui? Parce que la vie l’a peut-être rattrapé, il a peut-être des problèmes dont je ne soupçonne l’existence? Parce qu’il était peut-être souffrant, blessé? Peut-être avait-il eu un passé plus triste que le mien? Non. Il ne mérite pas mon empathie. Il m’a agressé, point. Je ne dois pas penser plus loin. Parce que des gens vont peut-être en souffrir? Pourtant, c’est son geste, pas le mien.  Je ne dois pas me sentir coupable. Cela suffit.

Parce qu’on va penser que je veux me venger? Parce qu’on va dire que je cherche à soutirer de l’argent? Parce qu’on ne me croira pas, on dira que je profite de la situation, on dira que je mens peut-être? On me jugera, on écoutera mon histoire et j’entendrai ces préjugés? On va me pointer du doigt, me ridiculiser, douter de moi? On dira que je le fais pour des raisons égoïstes? Non. Ce que les autres pensent ne m’appartient pas. Je ne dois plus diriger mes actions en fonction de ce que l’on pensera de moi. Je ne dois pas avoir honte. Cela suffit.

Parce que de le faire, c’est rester encore dans ce tourbillon? Parce que c’est de l’acharnement? Parce qu’il serait préférable de tourner la page, de passer à autre chose, de lâcher prise, de faire la paix avec mon passé? Non. Que je le fasse ou non, cela ne partira jamais, de toute façon. Tourner la page, je ne pourrai jamais vraiment. Je ne peux faire semblant et me faire croire que cela ne s’est jamais passé. Je peux avancer, évoluer, mieux me comprendre, redonner à l’autre ce qui lui appartient, mais je ne pourrai jamais effacer le traumatisme complètement. Que je le fasse ou non, la blessure restera. Je ne dois pas me mentir. Cela suffit.

Parce que j’ai peur de perdre de l’argent? De faire tout cela et de m’effondrer au bout du chemin? Parce qu’il pourrait en ressortir glorieux, comme lorsqu’il est sorti de ma chambre? Parce que c’est un gros risque à prendre? Non. Je ne veux plus faire des choix en fonction de ma peur. Je ne veux plus refouler au risque d’être blessée encore. Cela fait trop longtemps que j’agis de cette façon. La peur ne sera plus mon phare. Ma confiance doit être inébranlable. Plus que jamais. Je ne dois plus m’oublier. Je suis importante. Je suis forte. Je ne dois plus m’écraser pour me protéger. Cela suffit.

Parce que je peux le faire.

Parce que toutes les victimes devraient pouvoir le faire.

Et parce que tous les agresseurs devraient être tenus responsables de leurs gestes.
Sans aucune exception…

« On ne se libère pas d’une chose en l’évitant, mais en la traversant » Cesare Pavese

Pas si grave

Ce qui me dérange, c’est votre journal. Je n’ai aucun problème avec votre témoignage.

Ha! Vous comprenez! Je suis contente d’entendre ça…

Mon travail, c’est d’arrêter des agresseurs, mais c’est aussi de protéger mes plaignantes.

La défense va jouer avec ça, ils vont vous démolir, et ça va lever le doute raisonnable.

On dirait une fille qui fait le constat de ses agissements…

Je pourrais très bien vous préparer, vous accompagner, mais c’est vous qui allez être en avant, qui allez vous faire démolir, et vous n’avez pas besoin de ça.

La défense n’ira pas avec des gants blancs. Ce n’est pas un jeu.

Ça vous a libéré de porter plainte? Ça vous a fait du bien? Bon! C’est ça l’important!

Ce n’est pas qu’on ne vous croit pas!

Vous avez mes coordonnées si vous avez d’autres questions!

 

Je suis désolée, je n’ai pas eu le temps de vous répondre, parce que j’avais des rencontres avec des victimes… Vous pouvez appeler la CAVAC en attendant.

 

Qu’est-ce que vous voulez?

Je vous avais tout expliqué l’autre jour. Qu’est-ce que vous n’avez pas compris?

Ça ne marche pas! Vous ne pouvez pas! J’ai 25 ans d’expérience, je sais comment ça va finir. Il n’aura même pas besoin de témoigner.

Combien de fois dois-je vous dire que je fais ça pour vous protéger?

Ce n’est pas que je ne vous crois pas! C’est que ça ne marche pas! Vous pouvez demander un autre avis, mais moi je vous le dis, ça ne marche pas…

Je n’en reviens pas! Je n’ai jamais eu à me justifier autant…

Ce n’est pas ça qui va vous aider à guérir!

Non, je ne rencontre jamais les plaignantes dont j’ai refusé le dossier!

Je ne sais pas ce que la dame de la CAVAC vous a dit, mais elle n’a pas vu le dossier!

On voit qu’il n’y a pas qu’avec lui que vous avez des choses à guérir…

Non, ça ne lui donne pas le droit! Et c’est pour ça que vous avez porté plainte.

Oui, le mouvement #moiaussi va faire bouger les choses. Ça va faire en sorte que les filles vont s’affirmer, vont savoir se faire respecter, n’accepteront plus certaines choses.

Maintenant, vous allez guérir et devenir une ressource…

Bonne chance.

Ceci n’est pas un viol…

« Ceci n’est pas un viol. Il s’agit seulement d’une salope qu’il aura suffi de convaincre. »
Virginie Despentes

Cette phrase, c’est exactement ce que je me disais le lendemain. C’est ce que j’ai écrit dans mon journal.

Et c’est exactement ce que j’ai compris lorsque la procureure m’a expliqué qu’elle ne poursuivrait pas. Ce journal me nuisait. Ce que j’y ai écrit, c’était le bilan de mes agissements. Je serais détruite, assurément. La défense n’aurait même pas à démontrer quoi que ce soit. Je le dis moi-même sur ces pages sombres… il y a eu d’autres gars, plusieurs. Alors, il s’en sortirait.

Je me suis senti tomber dans le gouffre.

Moi qui croyais qu’elle m’en sortirait, elle m’y a replongé. Elle a confirmé ce qu’il m’avait dit. Elle a brisé ce que j’essayais de réparer.

Il m’a violée. Mais ce n’est pas si grave finalement. Parce que le lendemain, je l’ai cru, j’ai tout mis sur ma faute, je me suis détestée d’avoir été utilisée de la sorte. Voilà ma punition. Je ne pouvais me plaindre. Je l’avais cherché.

On ne viole pas une salope. On l’utilise, on se la fait. On l’emprunte pendant quelques temps. On la manipule un peu pour qu’elle se laisse faire. On n’a aucun remord. On peut même s’en vanter, mais pas tant. Parce que c’est une salope. Tout le monde peut se la faire. Il n’y a pas de quoi s’en vanter…

On n’aide pas une salope. Si elle pleure, c’est de sa faute. C’est qu’elle l’a cherché. Ce n’est pas la première fois qu’elle ouvre les jambes. Qu’elle ne vienne pas se plaindre si ça a mal tourné. Elle devait s’y attendre que ça puisse lui arriver. On ne va quand même pas la défendre. On ne va pas accuser le gars en question. Il n’a rien fait de grave. Il a juste profité d’une salope…

Et si on est une salope, il faut assumer. Si on ne veut plus en être une, il faut partir ailleurs et recommencer. On n’a pas à tenir les autres responsables, on a couru après son propre malheur. Sentir les regards, les jugements, c’est douloureux. Mais c’est de notre faute. Il ne faut pas se plaindre. On doit fermer les yeux ou les ouvrir. À nous de choisir.

J’ai fermé les yeux sur ce qu’il m’a dit. Sur ce qu’il a inscrit dans mon âme.

J’ai fermé les yeux sur la perception que j’avais de moi. Je les ai tous mis dans le même panier, car c’est ce qu’il a voulu me faire croire. J’étais ça. Pour tout le monde. Je ne pourrais me défendre. On ne m’aiderait pas.

J’ai fermé les yeux et j’ai tellement eu mal. Tellement pleuré. Tellement culpabilisé. Je ne l’ai jamais tenu pour responsable. Je l’ai oublié rapidement. Il n’était qu’un détail parmi les autres. Il était un de plus. Un de trop. Celui qui m’avait confirmé ce que j’étais, qui m’avait seulement ouvert les yeux.

La voilà ma blessure…
J’ai fermé les yeux pendant trop longtemps.
Alors que je croyais les avoir ouverts.

Je viens de les ouvrir…
Ça me fait mal. Mais ça me fait du bien.
C’est paradoxal.

Enfin, voir la vérité. Constater ce qu’il a créé.
Me libérer.

Mais aussi, réaliser le mal qu’il a causé en moi pendant si longtemps.
La culpabilité qui se transforme en colère.
Le sentiment d’injustice qui prend tout son sens.

J’ai cru qu’en 2018, on m’aiderait.
Qu’on comprendrait ma douleur du lendemain.
Que même s’il y avait eu d’autres gars, cela ne lui donnait pas le droit de me faire ça.

Il semble bien qu’il y ait encore du chemin à faire.
Il semble que j’avais bel et bien raison de me taire.
C’est de ma faute si justice ne sera jamais rendue.
Je n’étais pas pure, je n’étais pas chaste,
Je dois assumer ce après quoi j’ai couru.

Tourner la page de ce journal, prendre le blâme et admettre mes torts.

Lui, il a eu l’intelligence de choisir celle qui se culpabiliserait.
Il a réussi, même en 2018, à me faire avaler ce qu’il a fait.

Réparer

Une personne m’a dit dernièrement : « Répète ceci : je perds le contrôle et c’est correct. »
Oui. C’est tellement ça. Accepter d’avoir perdu le contrôle.
Accepter de replonger dans les émotions.
Accepter de ne plus être en mesure d’être l’enseignante que j’aime tant être.
Accepter de verser des larmes alors que normalement, je sais si bien me retenir.
Accepter d’avoir de la colère en moi. Me pardonner d’être envahie par elle, parfois.
Accepter que cette année, ma vie soit entre parenthèses.
Accepter d’avoir ces moments où la peur me saisit et ne me lâche pas. La panique me prend le corps et je ne sais plus comment gérer. Accepter de devoir avaler une pilule pour calmer mon système nerveux. La prendre cette pilule. Arrêter de lutter.

J’ai vu mon médecin cette semaine. Je ne retourne pas travailler en septembre. Je n’ai rien eu à lui dire, rien à lui demander. Elle a lu le rapport de ma psychothérapeute. J’ai fondu en larmes, bien malgré moi. Je me déteste quand je fais ça. Je lui ai dit : « je m’en veux d’avoir déterré tout ça. » Et elle m’a répondu : « Il fallait bien un jour que tu guérisses. C’est là. C’est maintenant que tu t’en occupes. Et ça peut être long. Tu as lutté contre ça pendant vingt ans. Ça ne se guéri pas du jour au lendemain. »

Aucune question sur mon retour au travail, rien. Et c’est là que j’ai compris. Je dois accepter mon état. Je ne dois pas essayer de le refouler. Je ne peux plus rien cacher, je ne peux plus me taire et surtout, je dois vivre et laisser sortir mes émotions. Celles que j’ai tant ignorées. Celles que je ne voulais pas vivre. Celles qui me faisaient peur, si peur. J’ai tant d’émotions refoulées, si vous saviez…

Je dois réparer cette brisure que j’ai à l’intérieur. Je dois recoller les morceaux, mais pour cela je dois les comprendre, les observer, leur redonner la place qu’il leur convient. Pendant ces vingt années, je n’étais pas malheureuse et désespérée, bien sûr que non! J’ai été forte, j’ai foncé, j’ai tout fait pour réussir ma vie, pour m’accomplir, pour être fière de moi. J’avais des objectifs et j’ai tout fait pour les atteindre! Dès le lendemain du viol, c’est ce que je me suis dit : « Je vaux tellement plus que ça, on tourne la page et on avance… »

Alors, je me suis séparée en deux. Il y a eu la Nat forte et la Nat blessée. La Nat forte a pris le contrôle, elle a dit à la Nat blessée « Tais-toi, je m’occupe de tout, mais tu dois rester cachée, tu ne dois pas parler, parce que si tu parles, tu vas hurler et tout gâcher… laisse-moi tout gérer. »

Mais la Nat blessée se tortillait. Je la sentais qui voulait dire quelque chose. Elle m’empêchait de dormir. Dans le silence, elle se montrait le bout du nez, et ça me faisait souffrir. Je préférais la Nat forte, avec elle j’étais bien, je profitais de ma vie, j’appréciais tout ce que j’avais. J’avançais.

La Nat blessée agissait sur mon corps, créant des angoisses sorties de nulle part. L’automne dernier, elle s’est emparée de tout mon être, je ne pouvais plus faire semblant, je ne pouvais plus fonctionner, la Nat forte était incapable de la contrôler. Impossible. Physiquement impossible.

Depuis, la Nat forte a laissé place à la Nat blessée. Et cette dernière a beaucoup, beaucoup de choses à dire. Elle pleure souvent, elle hurle de rage aussi, elle s’épuise à rien, elle a besoin d’être seule, elle a envie de vivre maintenant. Elle existe. Vingt ans qu’elle existe et que je ne veux pas la voir. Vingt ans qu’elle a tellement de choses à dire mais que je ne veux pas l’entendre. Il est temps d’accepter qu’elle soit là. Il est temps d’accepter de l’écouter. Quand mon médecin m’a signé le papier, que j’ai réalisé que je ne commencerais pas l’année scolaire avec mes élèves, voyant cela comme un échec personnel, j’ai compris.

La Nat forte n’est plus assez forte.
La Nat blessée a besoin d’être aidée.
Je dois cesser de lutter.
La Nat forte a perdu le contrôle, et c’est correct.
La Nat blessée prend toute la place, cela devait arriver un jour, je l’ai toujours su . Enfin, je vais m’en occuper.
Et le plus merveilleux, c’est qu’on me donne le droit de m’en occuper. Alors, moi aussi, je dois me donner le droit…

Un jour, il n’y aura plus la Nat forte et la Nat blessée. Il y aura Nat.

Agression sexuelle : quoi dire à une victime?

« Tu as tout ce que tu désires, la belle vie! »

« Pense à tes enfants, ils sont ta richesse! Ils ont besoin de toi… »

« Pense à autre chose! Change-toi les idées! »

« C’est du passé… »

Ces paroles sont sincères et remplies de bonnes intentions, mais malheureusement, elles ne sont pas très aidantes pour une victime d’agression sexuelle. Rassurez-vous, je n’ai aucune colère lorsque j’entends ces conseils. Au contraire, je sais à quel point il doit être difficile de trouver les mots. Je suis reconnaissante envers toutes ces personnes qui m’ont aidée, écoutée et surtout, qui n’ont jamais douté.

Je me suis posée la question : quelles sont les paroles qui m’ont le plus réconfortées? Car souvent, les gens ne savent pas à quel point une simple phrase peut tout changer.

Premièrement, croire. Ne pas douter. Je me souviens lorsque ma belle-sœur m’a serré dans ses bras, sans attendre, sans que je n’aie eu à en dire davantage.

S’il m’a fallu 20 ans pour parler, c’est qu’il était trop difficile de prendre le risque et de voir le doute dans un regard ou de l’entendre dans une parole. Ce qui m’est malheureusement arrivé le lendemain du viol. J’ai tendu la main à un ami, j’avais besoin d’aide. Mais il a douté. Il n’a pas su comment faire, j’imagine. Il a insinué que j’avais ma part de responsabilité. Je me suis refermée complètement. Je vous en supplie, ne doutez jamais. Les dommages sont épouvantables. Le sentiment de culpabilité transforme la victime en complice. Et elle peut rester dans cette prison à jamais.

Lorsque j’ai décidé de parler, 20 ans plus tard, j’avais si peur d’entendre encore ce doute. Mais lorsque j’ai entendu le soutien des gens que j’aime, la libération a pu être possible.

Admirez sa force! Parler prend beaucoup de courage. Vous ne vous doutez pas à quel point il est difficile pour la victime de raconter son agression, elle est devant vous complètement vulnérable. Dites-lui que vous l’admirez, qu’elle est courageuse, qu’elle est forte. La victime doit reprendre son pouvoir. Car c’est bien de cela  dont il est question, l’agression sexuelle est une lutte de pouvoir. Quelqu’un a utilisé son pouvoir et la victime a subi le traumatisme de l’impuissance. C’est un sentiment horrible qui empoisonne l’estime de soi.

Écoutez. Il est normal que la personne qui se confie parle sans cesse, répète, ressasse les mêmes histoires. C’est qu’elle est en train de faire du ménage et d’accepter l’événement. Elle doit replacer les morceaux, faire du sens, comprendre. Être écouté a été pour moi la plus grande libération. Nul besoin d’essayer de trouver les mots. Écoutez. Même si vous entendez la même chose des centaines de fois. Je me sentais mal de répéter les mêmes choses, mais ma cousine me rassurait « C’est normal, tu en as besoin. Je suis là pour t’écouter.»

Admettez. Nommez. Je me souviens lorsque la question se posait sans cesse dans ma tête « pourquoi il m’a fait ça? » J’essayais de comprendre. Et ma psychothérapeute m’a simplement répondu « parce que c’est un violeur. » Point. Elle venait de nommer. Et pour moi, ce fut un poids de moins sur mes épaules. N’ayez pas peur d’admettre et de nommer les choses telles qu’elles sont. « C’est horrible » « C’est épouvantable » « C’est un viol » « C’est insensé » « Il n’avait pas le droit ».

Intéressez-vous à l‘événement. Posez des questions. N’ayez pas peur de le faire. Les questions confirment à la victime que son histoire a de l’importance pour vous. « Tu le connaissais? » « As-tu eu peur? » « Avait-il déjà essayé auparavant? » Évidemment, ne posez pas des questions qui pourraient faire sentir à la personne qu’elle y ait peut-être pour quelque chose « Comment étais-tu habillée? » «  Pourquoi ne l’as-tu pas repoussé plus violemment? » Les questions empreintes de jugement sont à proscrire. Mais sinon, moi je n’attendais que cela, qu’on me pose des questions. Car j’avais toutes les réponses.

Soyez en colère! Cela peut sembler étrange, mais pour moi c’était la plus grande preuve d’empathie. Probablement parce que j’ai refoulé cette colère et que je ne me donnais pas le droit de l’exprimer. Entendre ma sœur qui exprimait son dégoût pour cet homme qui m’a violée, pour moi cela équivalait à un gros câlin qui réconforte. Redonnez à l’agresseur sa culpabilité. De cette façon, vous libérez la victime.

Dites que vous êtes là. Il est normal de ne pas savoir quoi faire, quoi dire, nous avons tous nos forces et nos faiblesses. Chaque personne autour de moi m’a apportée quelque chose d’extraordinaire, de différent et d’essentiel. Mon conjoint n’est pas doué dans les conseils et il le sait, mais il a été parfait pour me soutenir. Jamais il ne m’a fait sentir mal parce qu’un soir je ne pouvais m’occuper des enfants ou que j’avais une humeur exécrable.  Soyez disponible pour offrir votre aide, quelle qu’elle soit. Dites simplement que vous êtes là.

Assurez-vous que la personne ait de l’aide. « Tu vois un médecin? » « Tu consultes un psychologue? » « Tu veux porter plainte? Je peux t’aider… » Être victime d’une agression sexuelle, c’est grave. Vraiment. Ne laissez pas la personne seule. Elle a besoin d’aide. Ne sous-estimez pas les dommages.  La personne doit être entourée… elle a besoin d’être sauvée. Si vous connaissez des ressources qui pourraient lui venir en aide, écrivez-les sur un papier et donnez-le lui, même si elle dit qu’elle n’en a pas besoin. Car peut-être que plus tard, ce petit papier l’aidera plus que vous ne le croyiez.

Ne restez pas seul. N’hésitez pas à aller chercher de l’aide et demander de l’information. Aider une victime peut être lourd et il est normal que vous vous sentiez démunis faire à cette situation. Ma sœur n’a pas hésité à appeler le regroupement des CALACS et le CAVAC. Ils sauront vous donner les conseils appropriés pour mieux guider cette personne qui vous est chère. Confiez-vous aussi à quelqu’un de confiance. Recevoir un tel cri du cœur est bouleversant et est une expérience marquante. Vous avez sûrement besoin vous aussi de vous confier.

Une victime d’agression sexuelle ne veut pas qu’on ait pitié d’elle. Avoir été victime, ce n’est pas avoir été faible, c’est avoir vécu une injustice. La pitié ne fait que renforcer la honte.

Une victime d’agression sexuelle ne peut pas simplement se changer les idées, penser à autre chose ou se concentrer sur le présent. Cela viendra, mais d’abord, elle doit guérir. Et cela peut prendre du temps.

Continuez à l’aimer et dites-le lui! Car si elle vous  a choisi pour se confier ou pour demander de l’aide, c’est que vous êtes vraiment très important.e pour elle! C’est que vous êtes une personne de confiance, une personne extraordinaire!